Avec la précieuse collaboration de Vytas Kraujelis, passionné de cette période mais aussi du personnage, j'ai décidé de réediter un nouvel article qui remplace le précédent afin que vous puissiez profiter de toutes les précisions qu'il m'a apportées et dont il serait dommage de se priver. Voici donc une nouvelle version, plus complète de l'article consacré à Mathilde l'emperesse, le fantôme de l'Abbaye de Mortemer. Pour les amateurs, petite leçon d'histoire...
Les spécialistes du paranormal sont quasiment unanimes, c'est bien elle qui hanterait, certains soirs de pleine lune, les ruines le cloître et les étangs de cette Abbaye qui fût fondée par Henri 1er Beauclerc, son père. Contrairement à certaines croyances populaires qui circulent encore aujourd'hui, elle n'a jamais été emmurée ni même torturée dans cet endroit. Elle n'est d'ailleurs pas morte ici et eût une vie bien remplie. Mathilde "l'emperesse" était une femme remarquable au caractère bien trempé qui tint la dragée haute à son cousin Etienne de Blois, usurpateur du trône d'Angleterre. Mais reprenons les choses du début si vous le voulez bien.
Mathilde est probablement née le 7 Février 1102 à Sutton Courtenay, en Angleterre. Je dis bien probablement car le calcul exact d'une date obtenue en convertissant le calendrier "Julien" en calendrier "Grégorien" s'avère parfois erroné. Il faut savoir que les écrits de l'époque ne précisaient pas toujours le jour, le mois, l'année. Ils utilisaient souvent des expressions telles que "vingt jours avant Pâques" où "le jour de Noël" mais le plus souvent, la date de naissance n'aparaissait nulle part. C'était le jour du baptême qui était pris en compte et qui figurait dans les chroniques où les lettres dipplomatiques. Il faut savoir aussi que les filles recevaient très peu d'attention dans les écrits officiels.
Elle était la fille du roi d'Angleterre Henri 1er dit Beauclerc, duc de Normandie, quatrième petit fils de Guillaume Le Conquérant et de Mathilde II de Flandres, reine d'Angleterre, elle-même fille du couple royal et régnant d'Ecosse Malcolm III et Margareth (la sainte). En se mariant avec une princesse Ecossaise, Henri 1er avait réussi à unir le sang Normand de Guillaume Le Conquérant, vu par les anglo-saxons comme un envahisseur, avec le sang justement anglo-saxon de Mathilde de Flandres qui descendait des rois les plus glorieux d'Angleterre. Ce mariage à première vue politique se transforma très vite en mariage d'amour et de confiance mutuelle. La reine Mathilde participa activement au règne de son mari.
Henri 1er était né dans "la pourpre", c'est à dire de parents déjà couronnés. Cela pouvait parfois peser plus lourds que la primogéniture ou le droit d'aînesse pour la succession au trône. Ses enfants naîtront eux aussi dans la pourpre. La première, Mathilde, qui deviendra plus tard Mathilde l'emperesse, fait son apparition dans l'histoire le 17 octobre 1109 à Nottingham, durant le grand conseil du royaume où elle signe une charte qui ordonne la création de la paroisse d'Ely. Elle est promise à l'empereur Romain Germanique Henri V qui est alors âgé de vingt cinq ans, Mathilde elle, n'à que huit ans ! Cette alliance politique est importante pour Henri 1er car elle lui permet de gagner un allié contre le roi de France.
A la fin de Février 1110, la princesse Mathilde part pour l'Allemagne en compagnie des envoyés de l'empereur et des nobles Normands. Au début de Mars, elle arrive à Liège, l'une des villes les plus importantes de l'empire, où elle rencontre son futur mari pour la première fois.
Le 10 Avril à Utrecht, pour la cour de Pâques, elle est officiellement mariée à l'empereur. Par la suite, elle recevra ses douaires comprenant les terres près d'Utrecht, plus tard en 1125, lorsqu'elle quittera l'empire après la mort de son mari, Mathilde accordera ces terres aux maisons religieuses locales. Henri V sera couronné empereur par le Pape Pascal durant l'expédition impériale à Rome de 1110-1111. Mathilde, trop jeune et trop fragile ne pourra pas être du voyage. Par la suite, à cause de relations tendues entre Henri V et le Pape, il sera impossible à Mathilde de ceindre la couronne impériale. Le 25 Juillet 1110, Mathilde est couronnée reine germanique (reine des romains) à la cathédrale de Mainz par l'archevêque de Cologne, Frédéric. Elle sera tenue lors de son couronnement par Bruno, archevêque de Trier, premier conseiller de Henri V. Par la suite, Bruno sera le gardien et l'éducateur de Mathilde. Il lui enseignera, entre autres matières, la langue Allemande.
Le 7 Janvier 1114, Mathilde est officiellement mariée à Henri V à la cathédrale de Worms. Après le couronnement, la dot de la jeune reine sera livrée à l'empereur : 10.000 marcs d'argent ! Il semblerait que le mariage ne soit consommé qu'en 1115 (mêmeau 12ème siècle, il fallait bien tenir compte de la constitution physique). En dix années de mariage, le couple n'aura pas d'héritiers qui auraient survécus. Certains parlent d'un enfant mâle mort en bas âge.
A la mort de son mari, Mathilde quittera les terres d'empire, sans doute pour les raisons suivantes : absence d'héritiers issus de son mariage, mais aussi : absence d'héritiers légitimes pour le trône ducal de Normandie et la couronne d'Angleterre. En effet, le frère de Mathilde, seul fils légitime du roi Henri 1er à péri noyé lors du naufrage de la "blanche nef" avec une bonne partie de la jeune noblesse, du duché et du royaume, le 25 Novembre 1120. Elle emportera sa couronne (il est dit que c'est cette même couronne qui a ceint le front de son fils Henri II Plantagenêt lorsqu'il fût sacré roi des années plus tard), une relique (la main de l'apôtre Saint James qui sera donnée plus tard a l'abbaye de Reading) ainsi qu'une croix d'or qui est exposée en permanence dans le musée des beaux arts à Rouen.
Le remariage d'henri 1er avec Adelize de Louvin est resté stérile. Il faut savoir tout de même qu'il s'était marié une première fois ver l'âge de 31, 32 ans et que pendant sa jeunesse il avait eu au moins vingt, vingt quatre enfants illégitimes. Une bonne douzaine d'entre eux figurent dans les chroniques de l'époque ou ils et elles occupent des postes importants. Certains sont mariés avec des comtes, ducs et même rois !
Henri 1er fait revenir Mathilde en Normandie. Le choix de sa fille pour lui succéder s'impose à lui. Il n'a pas d'autre moyen de faire subsister sa lignée sur le trône. Il était très rare à l'époque qu'une femme puisse hériter du trône royal ou ducal. L'époque où seul, le fils naturel pouvait succéder à son père se trouvait ainsi révolue.
Il décèle très vite chez sa fille des aptitudes quant à la gestion des affaires du royaume. Son éducation lui a permis de développer un caractère volontaire, un esprit indépendant et une confiance en soi suffisante pour agir en dehors de toute influence néfaste. Cela se confirmera par la suite. Avant que Mathilde n'obeisse à son père, il y aura tout de même quelques vagues projets de remariage de la veuve en Allemagne car la noblesse Allemande estimait beaucoup son impératrice.
Il ya beaucoup de prétendants au trône. De Robert II Courteheuse, qui n'est autre que le frère du roi Henri 1er, aux fils de la maison de Blois, tous petits fils de Guillaume Le Conquérant par leur mère, Adèle, la place est très convoitée. C'est sans doute pour cette raison que le roi préfère tenir Mathilde à l'écart en la faisant revenir en Normandie et en la séquestrant à l'Abbaye de Mortemer. A son retour en 1126, celle-ci ne montre aucune joie, ce qui est compréhensible. Sur les vingt cinq années de sa vie, elle en a passé dix sept en Allemagne sur le trône impérial où elle était très appréciée.
A la cour de Noël en 1126, à Windsor en Angleterre, les prélats et la noblesse anglo-normande jurent fidélité à la future reine Mathilde. La noblesse Anglaise exige toutefois d'être consultée dans le choix d'un nouveau mari pour leur future souveraine. Quelques jours plus tard à Westiminster, le serment d'allégeance est officiellement prêté. Le roi Henri 1er ne consulte pendant les négociations que Robert de Gloucester (son fils naturel), Brian Fitz Count et l'evêque de Lisieux, Jean. Ce serment concerne également la future descendance de Mathilde.
En 1127, Mathilde retourne en Normandie pour y être fiancée à Geoffroy le bel, comte d'Anjou, le Plantagenêt de onze ans son cadet. Ils seront mariés le 17 Juin 1128 à la cathédrale du Mans par l'évêque Guy de Ploermel assisté de Jean, évêque de Sées. Geoffroy, alors âgé de quatorze ans deviendra comte d'Anjou à l'issue de la cérémonie, son père partant immédiatement pour Jérusalem pour y épouser Mélisende, héritière du royaume. Foulques d'Anjou devient roi de Jérusalem et gouverne de concert avec sa reine, il n'en est pas de même pour Geoffroy. Malgré l'urgence de concevoir un héritier Mathilde l'abandonne en septembre 1129 à son sort qui consiste à être le mari de la reine, à gouverner en son nom sans prétendre aux titres ni aux terres, en Normandie comme en Angleterre. Il n'apparaîtra plus à la cour du roi Henri 1er, ils vivront séparés pendant deux ans.
C'est en 1131 que les barons renouvellent leur serment d'allégeance à Mathilde, comme s'ils voulaient par ce fait lui signifier qu'ils acceptaient son mariage avec Geoffroy. Le conseil du roi lui ordonne de retourner auprès de son mari, ce qui sera fait. En Mars 1133 naîtra leur premier fils, Henri, (futur Henri II Plantagenêt). Elle donnera naissance à deux autres enfants mâles, Geoffroy et Guillaume.
Après la mort d'Henri 1er Beauclerc, les barons Anglais ne respecteront pas leur serment d'allégeance envers Mathilde. Son cousin Etienne de Blois usurpera le trône d'Angleterre qu'elle tentera de reprendre au cours d'une guerre menée aux côtés de son frère illégitime, Robert de Gloucester avec le soutien du roi David d'Ecosse. Elle y parviendra presque mais à la veille de son couronnement, elle sera contrainte de quitter la ville de Londres en toute hâte. L'Angleterre prêtera allégeance à Etienne de Blois un roi faible et maniable. Il promettra beaucoup de terres et de privilèges à ses partisans, et pour cette raison la noblesse le préfèrera à Mathilde, reine exigeante ferme et orgueilleuse.
Mathilde mourra à Rouen en 1167. Elle sera inhumée à l'Abbaye du Bec Hellouin avant d'être transférée dans la cathédrale de Rouen. C'est son fils Henri Plantagenêt (futur père de Richard Coeur de Lion et de Jean Sans Terre) qui poursuivra son oeuvre. Il deviendra d'abord duc de Normandie, puis après la mort d'Etienne de Blois, roi d'Angleterre.
Ven 5 Sep - 20:39